
Par : VINCENT Kangulumba Mbambi
Moins qu’un honneur, c’est plus au nom de l’intérêt scientifique que présente la thématique abordée dans l’ouvrage, que j’ai accepté, avec beaucoup de plaisir, de dire un mot à la suite du « Droit constitutionnel de la République démocratique du Congo » du professeur Félicien Kalala Mupingani.
Le droit -science ou pouvoir (au sens de prérogative ou liberté)- intéresse et concerne tout le monde. Surtout, en tant que droit objectif, le droit constitutionnel « emballe » presque tous les Congolais. Et pour cause ? Il suffit de suivre, d’une oreille plus ou moins attentive, les discussions –à la manière des « parlementaires debout »- autour de certains aspects de l’exercice des pouvoirs des institutions politiques ou, de plus en plus, des arrêts de la Cour constitutionnelle de la République Démocratique du Congo (RDC) alors qu’ils sont techniques et pas faciles à interpréter puisqu’elles relèvent, quant au fond, des dispositions de la Constitution ou des normes soumises au contrôle de constitutionnalité et, quant à la procédure, des règles de droit judiciaire.
Depuis une quinzaine d’années, la doctrine juridique congolaise en général et, en particulier, constitutionnelle, semble prendre ses « marques », même si certains de ses pas ne sont pas encore « fermes ». Bien que conservateur, le droit n’est pas moins dynamique. Il est attentif aux faits sociaux qui le poussent à aller dans telle ou telle autre direction.
La RDC est un « casus », un laboratoire d’expérimentation où des phénomènes sociaux les plus divers et les plus riches se rencontrent ou s’affrontent, sans s’auto-détruire ; plutôt appelés qu’ils sont, à coexister sans s’éliminer mutuellement. Comment, dans un tel État, très grand, multi-ethnique, avec plusieurs forces sociales et un taux de scolarisation élevé, les règles d’organisation et d’exercice du pouvoir politiques sont-elles mises en pratique ? L’histoire politique, très passionnante, de ce pays est-elle « innocente » ou « sauve » du dynamisme observé dans la conquête, la conservation et l’exercice du pouvoir politique ? Et quels en sont les acteurs, leur organisation politique et le cadre du jeu politique ?
Enseigner ou écrire sur le droit congolais (et notamment constitutionnel) est une entreprise qui doit être regardée sous deux plans : sur le plan de « ce qui doit être » et sur celui de « ce qui est ». Le premier s’attache à ce qui est écrit dans la constitution ou généralement dans les lois et, le second, se justifie par ce qui est vécu dans la réalité. La tension qui en ressort est la plus révélatrice de la réalité ou du dynamisme de ce droit … (Voy. sur le « Law in book » et le « Laws in action », dans mon Précis de droit civil des biens, T.1., Théorie générale des biens et théorie spéciale des droits réels fonciers et immobiliers congolais, Academia Bruylant, Louvain-la-Neuve, 2007, p. 26, n°10-11) dont la tension débouche sur la confrontation entre « Légalité » et « Légitimité ».
Tous ces questionnements fondent aussi l’essentiel de l’enseignement « écrit » du professeur Félicien Kalala Mupingani.
En effet, nul doute que le droit constitutionnel congolais traîne l’histoire sociale, politique, culturel et économique de la RDC. Une histoire qui ne commence pas qu’en 1885 ou avec « les routes de l’esclavage ». Mais avec nos royaumes et empires. On pourrait d’ores et déjà se demander si, plus que jamais, l’heure de la cristallisation de la somme ou de certaines de ces règles d’organisation politique endogène n’a-t-elle pas déjà sonné ?
L’ouvrage nous donne une occasion de nous assurer que le droit constitutionnel congolais -après, du moins pour ceux de notre génération (1976-1984), que nous ayons consommé « sans modération » -pas tous en tout cas ainsi que (suivez mon regard) vous pouvez excepter- le droit constitutionnel et institutions politiques étrangers (américain, belge, britannique ou français) à l’instar des autres enseignements (histoire, géographie économique, littérature, etc.), aux humanités, rivalisant avec qui connaît mieux tel droit étranger alors qu’il ignorerait superbement que son propre droit son histoire qui nous apprend que les Belges, Portugais ou Anglais ont eu à négocier avec nos Rois ou Chefs de nos royaumes et empires. Mais comment ces derniers étaient-ils organisés ? Heureusement, nous avions des « contrepoids », genre « Structures (et Institutions) politiques traditionnelles », avec le très respectable professeur Kayemba Ntamba Mbilanji – ponctuées par sa théorie des « Impuissances » !
Un adage ne dit-il pas : « connais-toi, toi-même » ! Il faut partir de ce que l’on est pour construire un monde à son image et conforme à son « être ». Pour ne pas paraphraser le premier ministre Lumumba qui disait que « l’histoire du Congo (devrait être) écrite par les Congolais (eux-mêmes)».
Voilà qui a amené, très probablement, l’auteur à fustiger ce déficit dans la manière d’être (savoir-être) ou de faire (savoir-faire) en appelant à « la libération du carcan du colonialisme intellectuel » (cf. avant-propos). En d’autres termes, à « la rupture avec l’enseignement uniquement formaliste de droit constitutionnel qui ne tient plus compte de la tendance actuelle de cette « unité d’enseignement » (clin d’œil à son implication dans le système LMD à la Faculté de Droit de l’Université de Kinshasa) et dans le monde.
Nous espérons bien que le glas du « mimétisme » juridique, inconsidéré, a véritablement sonné !
Pour ce faire, liant la parole à l’acte (écrit), l’auteur a consacré la première partie de l’ouvrage au rappel de « La trajectoire des normes constitutionnelles » qu’il a bien pris soin de définir dans l’introduction générale.
La deuxième partie, elle, étudie « Les institutions politiques congolaises ». Se demanderait-on, quelles sont-elles et comment en est-on arrivé là !
En conclusion, préfiguration (probable) de la conférence-débat autour de l’objet du droit constitutionnel, à la lumière des enseignements des professeurs V. Djelo Empenge Osako et A. Kitete Kekumba organisée le 22 juin 2024 par le Département de droit public interne de la Faculté de Droit de l’Université de Kinshasa ? l’on note que l’ouvrage est centré sur deux pans essentiels (objet du droit constitutionnel congolais) : « Les normes constitutionnelles » et « Les institutions politiques de l’État congolais » telles que configurées par la Constitution du 18 février 2006.
Voilà qui fait que, ne peut être bien accueilli et d’un intérêt évident pour la science, un ouvrage ou des enseignements de droit constitutionnel congolais, fondés sur les règles constitutionnelles et sur la dynamique des réalités politiques et sociales congolaises.
Il resterait, pour s’en convaincre, à en redécouvrir, en profondeur, le contenu à la lumière ou à la suite des enseignements qui sont développés dans l’ouvrage. Si tous les enseignants et les doctrinaires de droit, spécialement de droit constitutionnel, s’y mettaient, cela contribuerait à la meilleure connaissance et au développement du droit (congolais) et dans l’espèce du droit constitutionnel congolais. Ce serait ainsi un service rendu à la société congolaise.
VINCENT Kangulumba Mbambi
Professeur Ordinaire (Université de Kinshasa)
Avocat à la Cour de cassation et au Conseil d’État
Avocat au Barreau de Bruxelles
Membre de la Commission Permanente de la Réforme du Droit congolais (CPRDC)
Rédacteur en Chef de la Revue de Droit Africain (Bruxelles, depuis 1997)