
Pourquoi un Centre initiatique en droit public dénommé « Aigle-Academia » dans un pays comme la République Démocratique du Congo dans lequel les Constitutions, sources originaires de ce droit, apparaissent comme de simples pièces de musées sans espoir de prendre corps un jour dans le rétablissement du développement des populations auxquelles ses normes s’imposent ?
Comme dans d’autres pays du monde, la recherche en droit public continue de renfermer naturellement un grand intérêt pour la science, même s’il porte sur des Constitutions comme celles de l’Afrique en général et du Congo en particulier, dont on sait que ce sont des simples monuments inachevés, construites pour être placées dans des musées de l’histoire, inapplicables par nature, que tout le monde évoque, mais que personne ne respecte, dont la violation permanente n’émeut plus personne. Satisfaire à une préoccupation fondamentale assise sur des inquiétudes aussi fondées des observateurs avertis de la vie politique africaine en général et congolaise en particulier constitue une véritable gageure. Mais il convient de tenter d’y faire face en proposant un raisonnement fondé sur une triple considération.
Il s’agit d’abord de situer le droit public dans une certaine logique de direction et de mouvement qui le replace dans le domaine des recherches en sciences sociales. En ces sciences, la direction et le mouvement sont d’une importance capitale.
Ensuite, le présent centre initiatique veut contribuer au développement des connaissances en matière du Droit public bien courante certes, mais au contenu perpétuellement fuyant. Il est de notoriété publique, en Afrique comme ailleurs, que les publicistes devraient abandonner l’idée de devenir les « chouchous » du pouvoir. Le droit public tend à « dénuder » le pouvoir et ses détenteurs en dévoilant au grand jour le décalage entre les idéaux proclamés et les réalités de la pratique politicienne que, pour rien au monde, les dirigeants n’apprécieraient qu’elle fût connue des masses populaires. Ce constat est d’autant vrai lorsqu’il n’existe de Constitution et de démocratie que de noms. Lorsque les perspectives du constitutionnalisme et de la démocratie sont aussi lugubres qu’elles le sont dans des pays africains où il ne semble y avoir aucun espoir d’une consolidation proche d’un État de droit ou de démocratie, il y a certainement lieu de se demander le prix que l’on peut encore attacher à la recherche.
Faudrait-il pour autant abandonner la recherche en droit public ou plutôt persévérer avec espoir que les principes de constitutionnalisme et de la démocratie, qu’il est censé véhiculer, finiront par être domestiqués par les dirigeants ? Se référant à un exemple wébérien suivant lequel le vol n’annule pas la validité du droit pénal, surtout que le voleur se cache, Sindjoun n’avait-il pas écrit, avec raison, que le manque de respect pour une règle de droit ne saurait justifier le rejet de la recherche en droit public.
Cette situation que vivent les États du continent noir ne doit pas amener le juriste publiciste africain à développer un complexe d’infériorité à l’égard de ses collègues d’autres disciplines scientifiques, ni à battre en retraite ou à démissionner dans le débat sur les matières du droit public sur le continent . Contribuer au développement des connaissances relatives au fonctionnement des institutions politiques congolaises, aux normes qui les sous-tendent et aux mécanismes de protection des hommes dans leurs droits ne peut donc manquer d’intérêt.
Enfin, le centre initiatique « Aigle Academia » a l’ambition d’apporter sa pierre à la chute du mur érigé en faveur du silence complice observé sur la violation des textes constitutionnels et l’irrespect des principes de démocratie par les gouvernants. Les matières du droit public sont des sujets tabous, plus particulièrement en Afrique où l’autoritarisme, qui découle de la monopolisation de la vie politique, de la personnalisation et de la militarisation du pouvoir politique, bâillonne le peuple et lui prive jusqu’au droit de connaître ses droits et les principales limitations des pouvoirs des dirigeants, qui en sont des corollaires. En pareille circonstance, l’élite intellectuelle se trouve devant un dilemme entre se taire ou se prostituer. À travers ce centre, les connaissances acquises par les intellectuels contribuent certainement, en brisant le silence, à conscientiser les dirigeants congolais sur les méfaits du non-respect des règles constitutionnelles dans l’espoir d’obtenir le changement des mentalités. Nul n’ignore en effet combien le Congo a besoin d’une forte émancipation des intellectuels au plan idéologique, économique, matériel et financier vis-à-vis des hommes et des femmes au pouvoir